Les claquettes ou l’expression même de l’ouverture aux autres

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Les claquettes ou l’expression même de l’ouverture aux autres
 
Rédactrice : Charleyne Bachraty

Présenter Marie-Christine comme une danseuse de claquettes serait sans doute un peu réducteur. Disons plutôt qu’elle mange, vit et respire les claquettes, et ce, depuis presque 30 ans ! Ce qui la fait vibrer par-dessus tout ? Que le style soit à la fois traditionnel et moderne, mais aussi qu’il ait une approche classique sans jamais cesser d’évoluer. Tantôt considérées comme de la musique, tantôt comme de la danse, les claquettes sont accessibles à tout le monde. Personnes jeunes, âgées, débutantes, expertes, c’est également une danse qui accueille la diversité corporelle à bras ouverts. C’est peut-être ça au fond la magie des claquettes : créer une communauté issue de tous horizons, libre de s’exprimer à travers une forme de langage libre et rassembleuse.

 

 

Quels conseils pourriez-vous donner aux personnes qui désirent essayer les claquettes ?

Marie-Christine Lessard : Dans le meilleur des mondes, on devrait pratiquer les claquettes sur une surface non glissante et capable d’absorber les impacts. L’idéal, c’est le bois franc, de préférence non verni. D’abord pour éviter les chutes et les risques de blessures, mais aussi parce que - comme les claquettes font partie de la famille des percussions et du Jazz vernaculaire (jazz roots) -, le plancher devient partie intégrante de la boîte à outils du danseur ou de la danseuse. Au même titre que le modèle de soulier et du type de fer utilisé, le plancher influence le résultat du son. Un bon plancher permettra également d’aller chercher plus de stabilité, et donc plus de précision. Si l’on n’a pas le luxe de pouvoir performer sur un plancher - ou si l’on ne veut pas endommager son modèle en chêne à la maison -, il est possible de construire des carrés de bois individuels. Et pour pratiquer, un bon vieux plywood que l’on range sous son lit entre chaque session peut faire l’affaire ! Sinon, une chose dangereuse qu’on voit souvent, ce sont les fameux wings qui sont enseignés trop tôt, ou parfois, qui sont mal enseignés. Assurez-vous de bien comprendre le mouvement vous-mêmes avant de le transmettre à d’autres : quand on dit que le ballet nous suit partout, c’est vrai puisqu’un wing est, à la base, propulsé à partir du plié et du tonus des muscles abdominaux. Trop souvent, on arrive face à des élèves qui ne font que sauter en tentant d’agiter les chevilles rapidement, ce qui peut entrainer une foulure, ou même une fracture. En d’autres mots, retourner aux sources et s’assurer de couvrir ses bases - peu importe le niveau - ça fait souvent des miracles !

 

Quels seraient vos conseils pour ceux et celles qui veulent se lancer dans l’enseignement de ce style ?

MCL : Écoutez du Jazz, le plus possible ! Oscar Peterson, Duke Ellington, Charles Mingus, Miles Davis, Charlie Parker, Cole Porter… Les claquettes puisent leur racine dans cette famille, autant du côté de la musique que de la danse, et c’est hyper important de développer son oreille à toutes les subtilités du rythme. Portez attention à la construction des pièces de musique, de quelle manière les musiciens et les musiciennes réussissent à surfer sur une vague improvisée, puis sans se parler, revenir au bon moment dans le cadre de la pièce initialement jouée. C’est totalement fascinant ! Quand on comprend que le monde de la musique et celui de la danse sont liés, les possibilités sont infinies. Et même si c’est intimidant au départ, improvisez. Vous seul.e, puis avec vos élèves, sur de la musique, a cappella, même si vous êtes off beat, même si vous pensez que c’est n’importe quoi. Faites un cercle à la fin du cours, ou si vous préférez, restez à vos places dans la classe et donnez 2x8 aux élèves à tour de rôle. Peu importe la formule, l’important n’est pas d’impressionner la galerie, mais d’arriver à garder le rythme et à gagner en confiance ! Côté enseignement, c’est aussi une bonne chose de commencer avec des séries de pas « classiques » et bien connues, comme le Shim Sham, le BS Chorus ou les différents time steps.

 

Quel conseil donneriez-vous aux enseignants et enseignantes avec plus d’expérience ?

MCL : Des conseils très similaires : ne jamais arrêter d’écouter du Jazz et d’improviser, seul.e et avec vos élèves. C’est ce qui développe la créativité et permet de sortir des lignes de la technique. Parce qu’une bonne technique, c’est bien, mais ça ne sert pas à exprimer des émotions. Si vous êtes capables de participer à des ateliers et des jam sessions, d’échanger avec d’autres tappers, faites-le. Les claquettes, c’est un langage et l’on doit échanger. N’hésitez pas à vous approprier des pas et à les moduler à votre façon. Aussi, quelque chose qu’on ne voit pas assez dans les écoles de danse du Québec, à mon humble avis : faites preuve de curiosité et essayez de l’insuffler à vos élèves en incluant un segment historique dans vos cours. Les claquettes ne sont pas qu’un style de danse qui a été populaire sur Broadway pendant des années. C’est un style qui vient avec un important bagage historique et culturel, et qui puise ses fondements dans l’esclavagisme et l’émancipation des communautés afro-américaines. C’est complexe, mais je crois donc que tout danseur et danseuse de claquettes doit en avoir conscience, et c’est encore plus vrai quand on l’enseigne. C’est une forme d’art qui mérite qu’on la respecte et qu’on la transmette dans son entièreté. Dans le même sens, et ici c’est très personnel, je suis d’avis que les claquettes offrent un vocabulaire et un univers tellement riches que l’on n’a pas besoin d’aller piger dans les autres styles pour agrémenter ses chorégraphies. À tous les profs de claquettes qui veulent honorer le style : pas besoin d’inclure une série de pirouettes, de fouettés, ni d’enlever ses souliers au milieu d’une pièce de claquettes pour y insérer un mouvement d’Accro Jazz ! Et ce n’est pas pour limiter votre côté créatif, bien au contraire ! Mais avant d’aller vers la fusion, pensez-y à deux fois… Parce que dans le monde des claquettes, des rythmes précis, nuancés et qui respirent, ça, c’est impressionnant !

 

Existe-t-il de la documentation, des chaînes YouTube, des livres qui pourraient nous en apprendre un peu plus sur le style ?

MCL : Comme j’ai été formée par Ethel Bruneau - réelle pionnière des claquettes au Canada -, puis par l’un de ses protégés, Travis Knights, j’ai eu la chance d’avoir une porte ouverte sur ce monde de manière assez naturelle et organique. Mais pour ceux et celles qui n’ont pas nécessairement de mentor.e.s, il y a plusieurs façons de s’éduquer et s’inspirer. D’abord, voir les performances à travers les époques. Ici, YouTube est votre ami : les Nicholas Brothers dont la pièce Stormy Weather a eu une influence sur le breakdance, Jimmy Slyde, Sammy Davis Jr., Chuck Green, Sandman Sims, Bunny Briggs, Baby Lawrence, Eleanor Powell dans les plus anciens. Puis, Gregory Hines qui lui, a eu une influence majeure dans les années 70-80. On peut aussi penser à Dianne Walker, Brenda Bufalino. Et dans la « nouvelle génération », je peux citer Savion Glover, Jason Samuels Smith, Jason Janas, Sarah Reich, Travis Knights, Michelle Dorrance. Il y en a tellement ! Mais toutes ces personnes sont de véritables mines d’or de connaissances et d’inspiration. Le film Tap, avec Gregory Hines justement, est comme une bible dans le monde des claquettes, tout comme le livre Jazz Dance : A Story of American Vernacular Dance. Et je ne peux pas finir cette liste sans parler du podcast The Tap Love Tour de mon ancien mentor, Travis Knights, dans lequel il exprime sa vision tout à fait singulière des claquettes, à travers une centaine d’entrevues avec des danseurs et danseuses, d’hier à aujourd’hui (NDLR : Cliquer ici et ici pour y accéder).

 

Pour terminer, pourriez-vous nous parler des artistes que vous aimez suivre et de votre mouvement préféré ?

MCL : Le premier artiste à me venir en tête est bien sûr mon ancien mentor, Travis Knights. D’abord pour sa vision très profonde, réfléchie, intelligente, presque philosophique qu’il a des claquettes, puis pour sa passion qu’il m’a transmise, et pour finir pour son swag et son élégance… On va se le dire : sur une scène, il assure ! Mais lorsque vient le temps de créer ou simplement d’improviser, les pièces d’Oscar Peterson m’inspirent également beaucoup. Sinon, pour mon move préféré, j’aime bien partir d’un classique hoofing time step et… voir où cela m’amène !

 

 

Pour connaître les écoles de danse qui offrent ce style, rendez vous sur le répertoire.

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