Il y a des danses comme ça que l’on pense faites pour exposer sa maîtrise, montrer des figures et des rythmes incroyables, eh oui disons-le, pour être un peu « show-off »… Pourtant, derrière cette façade technique, se cache tellement plus. Le dancehall est l’une de ces danses pour lesquelles il est bon de rappeler l’histoire, la signification, mais aussi le travail des pionniers et pionnières qui la font évoluer et qui entretiennent ses origines. Et Véroushka Eugène est l’une des grandes amoureuses de ce riche bagage culturel qui ne peut pas simplement se transmettre par une vidéo Tik-Tok…
On peut voir les yeux de Véroushka briller lorsqu’elle parle du dancehall. Elle qui est née en Haïti nous confie que ce ne sont pas toutes les danses qui sont vues d’un bon œil au sein de la société. Comment faire alors pour s’exprimer dans le respect et l’absence de jugement ? En aménageant des espaces secrets et exclusifs. Quoi de plus logique qu’une danse comme le dancehall, si pliée et ancrée dans le sol, ait pris vie dans des salles underground ? Libres de créer et de laisser parler leur corps, les danseurs et les danseuses répondent à la musique, ressentent différentes émotions et les extériorisent, avec toujours un petit goût d’interdit. « C’est la réalité d’Haïti oui, mais aussi celle de la Jamaïque et des Caraïbes en général ». Et ce lien si profond, presque mystique, a beaucoup de valeur pour elle.
De cette origine secrète s’en suit une évolution timide, qui part du Reggae. Une voie ouverte par Bob Marley que les DJs - tels que Buju Banton, Elephant Man et d’autres - vont faire évoluer en y mettant plus de « riddim », de rythme, de up-beat. La magie opère et le style se popularise de plus en plus. L’ajout de basse et d’une approche plus Ragamuffin, encourage à danser de la poitrine, à plier davantage, à moins sauter, à utiliser les hanches. Le style tel qu’on le connait aujourd’hui se dessine vraiment à cette époque.
Bogle permet de faire briller ce style de danse à l’international, et Sean Paul, Mr. Vegas - pour ne citer qu’eux - l’imposent comme un incontournable dans leurs vidéos. Les femmes ne sont pas en reste et s’imposent à leur tour dans cet univers. Elles s’approprient les codes, les décortiquent, mettent au point leurs propres mouvements, rivalisent d’audace et d’acrobaties. Et gare aux hommes qui essaieraient d’emprunter leurs steps ! Cette vibe n’est pas pour eux. Les Dancehall Queens se réservent le droit de jouer dans les plates-bandes masculines, et ce n’est pas réciproque, pour une fois !
Pour Véroushka, tout commence vers l’âge de 7 ans, en regardant des artistes de son pays qui avaient déjà adopté le Raggamuffin. Ce rythme, ce groove : « Ça marchait dans mon sang. Tout ton corps bouge, tu bounces plus rond que dans le hip-hop. C’est un relâchement total qui intègre le dos, le cœur, avec des waves, ça me parle tellement ! » confie-t-elle. À son arrivée au Canada, elle réalise qu’elle est loin de connaitre tous les steps qui existent. Elle découvre aussi la danseuse française Laure Courtellemont. « Juste WOW ! Son style, son feeling, j’ai été émerveillée. » Camron One-Shot fait également son entrée parmi ses incontournables, et dès lors, elle n’a plus qu’une idée en tête : trouver tous les steps, les apprendre et les maîtriser. Pour la pratique, les écoles de danse ne proposent pas encore le style à l’époque. Ce n’est qu’en 2013 que A’Motion Dance lui permet d’expérimenter et d’être au contact direct de danseurs et danseuses internationales, comme les Jay Kay Twins (Les Blazin à l’époque) ou Sonia Soupha.
Au fur et à mesure de son apprentissage, l’enseignante et danseuse tombe en amour avec les Black Eagles - particulièrement de Craig Black Eagles, dont elle admire le flow et la précision quasi incisive – avec les Overload Skankaz dont les steps tout en douceur laissent toute la place au groove, au flow et aux waves. Les Xqlusiv dancers groupe pionnier et créateur de la majorité de ses steps préférés, la marquent tout autant.
Vérouskha nous sensibilise aussi à une réalité peu mise de l’avant : l’enseignement du dancehall sans mention des créateurs jamaïcains. « Beaucoup de personnes de l’Europe notamment, se sont mises à enseigner le dancehall, mais sans donner le crédit à ses créateurs. Elles se permettaient de mettre au point leurs propres steps, alors qu’elles n’avaient aucun contact avec la culture jamaïcaine ou avec les danseurs jamaïcains. Après être tombées dans ce que nous appelons l’appropriation culturelle, elles ont compris que respecter cette culture passait par l’échange avec les pionniers et les pionnières ». De cette réconciliation sont des nés des voyages organisés pour aller visiter la Jamaïque et y prendre des cours, puis des alliances, des djams, des collaborations. Chacun et chacune danse aujourd’hui avec plus d’écoute de l’autre, et de ce qu’il ou elle a créé pour le style. On donne le crédit et le nom des steps, on se souvient et l’on s’ouvre des horizons, dans le plus grand respect.
Loin d’être éteinte, l’exploration du genre continue encore et encore. Pour preuve : la pléthore de mouvements que la nouvelle génération s’évertue à produire à un rythme infernal ! D’où l’importance pour Véroushka, de constamment rappeler l’origine du dancehall, pour que son essence ne se perde pas dans la course aux vues. « Pour les groupes de créateurs, c’est une question de survie. Ils doivent créer pour être visibles sur internet, mais pas au détriment du devoir de mémoire qui est à la base de tout ».
Parlant de steps, quel est celui qui a une place privilégiée dans le cœur et le corps de Véroushka ? « Je dirais le Zip it Up. C’est un mouvement de jambes, de hanches, d’épaules, de pieds. Quand on parle de laisser parler son corps, c’est vraiment ça ».
Du beat nait le mouvement, et de l’histoire, nait la raison d’être. Un mantra que des personnes passionnées comme Vérouskha perpétuent à transmettre. Parce qu’elles se souviennent.
Pour connaître les écoles de danse qui offrent ce style, rendez vous sur le répertoire.