Le dancehall, c’est une danse festive et impressionnante oui, mais c’est aussi et surtout une forme d’expression, un pas vers la liberté et une histoire qu’il est important de comprendre et de transmettre. Véroushka, danseuse et enseignante, trouve dans ce style et dans ses racines, la force, la volonté et l’espace dont elle a besoin pour vivre, s’épanouir et connecter avec ses émotions.
Véroushka Eugène : À mon avis, il n’y a vraiment rien qui limite la pratique du dancehall. Le vrai défi, c’est d’accepter que les danses d’origine afro sont des danses que l’on dit « groundées », qui sont plus ancrées. Donc les personnes pour qui c’est difficile de plier risquent d’avoir des problématiques avec ce style. Mais pour le bounce, le groove, pour vraiment sentir l’énergie – cette énergie qui vient de la terre – il faut aller vers la terre. Si quelqu’un est plus habitué à des styles aériens et a du mal à plier, eh bien je dirais que c’est la seule contrainte physique qui pourrait exister, avec peut-être la question de mobilité au niveau du torse, des épaules. C’est quelque chose qu’il faut vraiment travailler si l’on veut danser comme il faut. Il faut être capable d’intégrer les vagues, ce qu’on appelle en dancehall les « waves ». Dans quasiment tous les mouvements – et c’est ce que je dis à mes élèves – il y a une wave. Et ce qui est intéressant dans ce style : chercher comment introduire la wave dans le mouvement pour trouver le flow et ne pas être dans la rigidité. C’est une forme de liberté. Mais il faut accepter d’être surpris par son propre corps, et de le laisser s’exprimer !
VE : En premier lieu, je dirais qu’il faut vraiment être capable de danser le dancehall. Ce que je veux dire par là, c’est de le danser comme les gens de la Jamaïque, à savoir prioriser le feeling avant les mouvements. Il y a beaucoup de mouvements et beaucoup de gens s’intéressent plus à leur exécution qu’au ressenti. Mais le dancehall a été créé dans des salles de danse underground, et le but était de voir comment la musique te faisait réagir, comment ton corps répondait à la musique. L’idée n’était pas de savoir quel mouvement tu maîtrisais, mais plus de comprendre ton rapport à la musique. Et dans ces soirées, c’est la personne qui avait le plus de feeling qui était la plus remarquée. Donc la personne qui enseigne le dancehall doit être réceptive à ça. Le dancehall permet vraiment de transmettre des émotions, comme la joie ou la colère par exemple, tout en faisant honneur au beat ou riddim.
Ensuite, il faut bien comprendre l’histoire et l’évolution du style, de la musique et de la danse. C’est vraiment important de ne pas perdre les « roots », les racines comme on dit en anglais. Et finalement, suivre des formations avec les créateurs de steps, parce qu’ils savent pourquoi ils les ont créés, leur signification, ce que ça veut dire pour eux. C’est bien de regarder des vidéos, de continuer à s’imprégner de la culture, mais c’est important d’avoir un contact direct, en vrai ou en ligne. Selon moi, c’est primordial de pouvoir entrer dans leur monde et de comprendre ce qu’eux comprennent de la danse, ce qu’ils ont à dire. C’est sûr que l’on ne peut pas tous les connaitre, car il y a plusieurs écoles actuellement, mais si on peut aller chercher au maximum l’essence des mouvements, on peut avoir un assez large répertoire de steps et une compréhension profonde de la culture, pour pouvoir les enseigner à son tour. Pour résumer, je dirais que danser encore et encore, écouter la musique, comprendre l’histoire et savoir où le style en est aujourd’hui, c’est essentiel.
VE : C’est vraiment très intéressant comme question. Moi-même, j’ai eu l’impression de me déconnecter de la nouvelle culture dancehall et je me suis demandé : est-ce que je suis encore capable de dire que j’enseigne le dancehall ? Est-ce que je suis encore intéressée à l’enseigner avec ce nouveau courant dans lequel tout est plus une question de steps, de création intensive de mouvements dans laquelle on oublie l’essence que j’ai évoquée ? Je me sentais un peu perdue. Donc je suis retournée à la base, à la musique. J’ai juste écouté de la musique, pour voir ce qui ressortait comme groove, comme vague, et là, ça m’a permis de comprendre que peu importe le nombre de steps qui ont été inventés, comprendre le dancehall c’est la clé. Peu importe le step que l’on apprend que l’on intègre, ça rentre toujours dans la racine du Raggamuffin, car le dancehall vient de là. Il faut vraiment s’en tenir à la base, à la source, comprendre sa raison d’existence. C’est une danse de pleine expression, de liberté. À l’origine, les gens voulaient pouvoir s’exprimer avec tout leur « ça » d’après le concept philosophique. Ils ont donc créé des espaces pour le faire et ont développé ce style de danse. C’est de cette liberté que j’essaie de me rapprocher le plus possible à chaque fois que j’ai l’impression que je vais perdre les pédales ou lorsque je ne comprends plus ce qui se passe ! (rires) Je reviens à la musique, à la liberté de mouvements et d’expression. C’est pour ça que j’ai autant connecté avec le dancehall, à l’origine. Là où je suis née, en Haïti, danser des styles dans lesquels les expressions sont crues et sans filtre n’est pas très bien vu. Alors, trouver des espaces où s’exprimer, c’est nécessaire pour moi.
VE : C’est une bonne question. Moi-même quand je me formais, c’était difficile de trouver de bonnes formations. J’ai dû lire le mémoire d’une personne en Jamaïque qui avait étudié l’évolution du dancehall, mais comme c’était une étudiante tout comme moi, je sais que son travail n’était pas sanctionné par des pairs. Cela m’a toutefois été très utile. D’anciens danseurs et créateurs de steps, comme Latonya Style ou Kimiko Versatile, font un gros travail d’explication et de documentation. C’est l’ancienne génération en fait qui s’implique dans cet élan, car ils voient que les jeunes que l’on suit beaucoup aujourd’hui commencent à perdre l’essence. Donc ils forment pour le grand public, mais aussi à l’interne pour que la culture ne se perde pas. Sinon, il y a aussi Dance JA (Dance Jamaica), un site qui répertorie quasiment tous les steps, les écoles et les créateurs. C’est comme cela que l’on peut se tenir au courant. C’est ma go to page pour voir quelles sont les grandes tendances, car on ne peut pas tout suivre. Mais c’est certain qu’il y a tellement de danseurs aujourd’hui, que pour se faire remarquer, ils font de la surproduction de steps au dépit de l’essence : plus ils produisent, plus ils peuvent se faire remarquer et sortir du lot. C’est vraiment devenu un moyen de survie pour eux.
Pour connaître les écoles de danse qui offrent ce style, rendez vous sur le répertoire.